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Omnia vanitas

La démocratie

1 Juin 2018 , Rédigé par Tristan de Lupalbus Publié dans #Politique

 

Quel intérêt à parler en philosophe de la démocratie aujourd’hui ? Le terme est si employé qu’il est en passe de ne plus rien dénoter de déterminé. Il a simplement une nuance flatteuse quand on l’emploie : « dans nos sociétés démocratiques… ». La philosophie peut donc nous aider à déterminer rigoureusement son concept, ses principes…

 

1/ Discours philosophique sur la démocratie

Si l’on s’intéresse aux discours des philosophes sur la démocratie, nous n’avons pas affaire à un plaidoyer, loin de là. Pour Platon, la démocratie, sous couvert de liberté et d’égalité, attribue les charges sans se soucier des compétences politiques et renonce à toute norme pour régler la vie des hommes. Aristote, quand il distingue les constitutions droites et contrefaites, fait de la démocratie une constitution déviée de la politeia, meilleur régime, lui reprochant de ne gouverner que dans l’intérêt du peuple et où le pouvoir n’est pas soumis à l’autorité des lois. Bodin, le théoricien de la souveraineté, dit du « régime populaire » qu’il rend incompatible la souveraineté avec le peuple : la souveraineté implique l’obéissance ; or, personne n’est tenu d’obéir en démocratie. Montesquieu associe le pouvoir du peuple à la tyrannie et ne le pense pas compatible avec sa liberté réelle… Rousseau pourrait faire figure de premier démocrate puisqu’il est le théoricien de la souveraineté du peuple comme obéissance à la volonté générale et à la loi qu’on s’est prescrite, mais elle demeure à ses yeux un idéal inaccessible, au-delà de l’humanité. Elle est « faite pour un peuple de dieux »

Seuls Protagoras, le sophiste, et Spinoza semblent défendre une position ouvertement démocratique. Mais il convient de se demander pourquoi les philosophes en ont une conception si négative. La critique peut se comprendre selon deux points de vue : la démocratie est l’arrière-plan politique grâce auquel on philosophe ; le concept de démocratie est problématique.

  1. Si Platon critique la démocratie, c’est parce qu’il s’agit du régime sous lequel il vit à Athènes. Ses caractéristiques sont : l’institution d’une justice contradictoire ; la structuration de la cité autour de l’agora, lieu d’échanges de marchandises, de discussions ; la structuration de la vie politique autour d’une assemblée délibérative (ecclésia). Il n’est pas inutile de rappeler qu’Aristote pense la démocratie comme forme viciée de la politeia, mais jamais la politeia comme forme droit de démocratie, c’est-à-dire qu’il la pense à travers les problèmes historiques que ce régime a pu rencontrer dans la Grèce antique.
  2. Pour Platon, le problème essentiel de la démocratie est celui-ci : l’égalité implique qu’aucune compétence ne soit nécessaire pour participer à la délibération. Comment se fait-il que ce que l’on admette pour la cuisine, on le refuse en politique ? Le savoir que requiert la politique porte sur les fins de la vie individuelle et commune, pas seulement sur les moyens. Il s’agit donc d’une sagesse des plus difficiles à acquérir : doit-on penser que tout homme est naturellement et spontanément sage ? Le problème de la liberté en démocratie est qu’elle ne paraît pas contraindre à l’obéissance, chacun faisant ce qu’il veut sans qu’aucune norme ne préside à la vie commune.

Aux yeux de Platon, il y a une incompatibilité entre les principes de la démocratie et ceux de la philosophie. La philosophie est porteuse d’un savoir, d’une compétence, elle est une exigence d’universel… Il y a fort à parier que la critique de la démocratie est proche de celle qui est faite de la démocratie et c’est pourquoi Platon distingue tant la sophistique de la philosophie, comme un loup d’un chien. La philosophie se doit d’être critique et problématique quand elle traite de la démocratie.

 

2/ La question de la citoyenneté (Aristote, Kant)

Le terme de citoyen est abondamment employé, mais sommes-nous pour autant capable de le définir ? Dans les Politiques d’Aristote, au début du livre III, il est intéressant de remarquer que la question du citoyen est introduite par une autre qui va sensiblement orienter la définition qu’Aristote en donnera : il s’agit de résoudre une controverse portant sur la question de savoir comment imputer correctement les actes dont la cité est créditée ; qui en est le vrai auteur ? La cité elle-même, le tyran ; ses dirigeants ou ceux qui la composent ? Bref, qui peut être tenu pour responsable de l’action politique ?

Le citoyen ne fait pas que vivre et obéir à des lois dans la cité, il est défini par son rôle actif et sa participation aux décisions de la cité, aux magistratures. La fin du même chapitre définit conjointement le citoyen (« celui qui a la faculté de participer au pouvoir délibératif ou judiciaire ») par sa participation au pouvoir politique et le fait qu’il est l’auteur des actes de la cité entière ; et la cité comme l’ensemble des citoyens capables de vivre ensemble (« l’ensemble de ces gens quand il est suffisant pour vivre en autarcie »). Il en résulte, pour Aristote, que le citoyen doit être aussi bien capable de commander que d’obéir.

La perspective ouverte par Kant sur cette question prend le contrepied de la doctrine aristotélicienne (Théorie et pratique, II, Doctrine du droit, §43) : « Un Etat est la réunion d’une multiplicité d’hommes sous des lois juridiques » (Doctrine du droit, §45). Ici, c’est le lien juridique qui réunit les hommes en une cité. Il faut être sensible à ce « sous les lois » particulièrement explicite : les lois ne sont pas le produit du lien social, elles le fondent. La nécessité de lois a priori nécessaires rejoint celle d’une norme antérieure à l’Etat. La définition du citoyen qui va être donnée en découle directement : trois principes permettent de comprendre les attributs du citoyen.

 

Liberté

Egalité

Autonomie

Homme

Sujet

Citoyen

Rechercher son bonheur à sa guise, aussi longtemps qu’il ne nuit pas à autrui

Nul ne peut être contraint que par la loi, égalité de droit

Droit de vote dans la législation

 

Le citoyen, au sens ouvert par Aristote, est membre de la société civile ; alors que le citoyen en tant que membre de l’Etat, au sens kantien, est celui qui jouit du droit de vote (Kant le réaffirmera dans la doctrine du droit, §46 : « seule la capacité de voter définit la qualification du citoyen »). Dans l’espace qui sépare les deux auteurs, la différenciation entre deux types de citoyenneté est possible : une première qui serait passive (propre à celui qui jouit de la liberté qui échoit à tout homme et de l’égalité qui échoit à tout sujet) ; la seconde serait active, concrétisée par le droit de vote. Le citoyen actif de Kant, cependant, est bien distinct du citoyen-magistrat d’Aristote. Il exprime une volonté, mais ne pose des actes de pouvoirs, privilège qui revient au prince qui, seul, gouverne. Kant opère une division au sein du citoyen d’Aristote entre son vouloir et son pouvoir.

Aristote remarque que la définition du citoyen qu’il propose existe surtout en démocratie, c’est-à-dire qu’elle trouve dans ce régime-là se forme la plus achevée car elle repose sur une participation de tous à l’exercice du pouvoir. L’égalité entre les citoyens consiste justement à exercer le pouvoir commun de façon équitable. La communauté politique est celle des égaux, qui sont tour à tour gouvernés et gouvernants (d’où la nécessité, pour le citoyen, de savoir aussi bien commander qu’obéir). Par une série de déductions, on aboutit à cette idée que si la citoyenneté se caractérise par le pouvoir et que tout pouvoir est ordonné à une fin, la communauté pensée par Aristote pose une fin propre au politique, laquelle est le bonheur de tous, le bien général, l’intérêt général : « Il faut donc poser que c’est en vue des belles actions qu’existe la communauté politique, et non en vue de vivre ensemble » (III, 9). C’est en donnant le bonheur comme fin de l’organisation politique que s’opère l’articulation entre l’éthique et la politique d’Aristote.

Kant s’oppose frontalement à cette idée et articule son propos autour d’une autre distinction fondamentale : celle de la république et de la démocratie. Dans le Projet de paix perpétuelle, Kant adresse à la démocratie un reproche fondamental : elle n’est pas représentative et elle ne sépare pas les pouvoirs ; deux reproches qui, en réalité, ne font qu’un. La citoyenneté y est à la fois volonté et pouvoir, toute démocratie est directe. Plus encore, nous avons vue que Kant définit la liberté de tout homme comme la recherche du bonheur, ce qui en fait une affaire privée, subjective qui ne saurait devenir celle de l’Etat. Défini négativement, le bonheur ne peut être la fin de l’Etat et, s’il le devient, nous avons affaire au « plus grand despotisme » qui soit. Ce que Kant récuse, c’est la prétention de l’Etat à régir la vie privée des individus, la conduite des individus. « Personne ne peut me contraindre à être heureux à sa manière », ce qui signifie que le pouvoir ne peut avoir des prétentions de ce genre.

L’un des points fondamentaux sur lesquels Kant insiste est le suivant : « Si la société est instituée pour l’amour du droit, alors le lien privé ne la concerne pas ». La puissance suprême ne légifère pas en vue du bonheur et, quand elle le viserait, ce n’est jamais que comme un moyen, non une fin en soi. La fin de l’Etat, pour Kant, n’est autre chose que l’Etat juridique lui-même ; la fin du gouvernement n’est pas de rendre le peuple heureux, mais de faire en sorte qu’il existe en tant que communauté. En définissant l’égalité civile comme égalité de droit, nous reconnaissons l’inégalité des fortunes, des pouvoirs et des aptitudes…

 

Ces deux définitions de la citoyenneté fondent deux modèles du lien social : la participation contre la représentation ; la communauté contre l’association ; la fin commune ou l’Etat de droit. Kant construit son propos contre la contrainte posée par l’Etat : Kant n’affirme pas la liberté personnelle contre la communauté des fins, mais contre un despotisme étatique ; il ne dresse pas une représentation contre le pouvoir des citoyens, mais contre la concentration dans l’Etat d’un pouvoir sans limites.

 

3/ Pouvoir et liberté du peuple

L’idée de souveraineté populaire, bien que nous y soyons habitués, ne laisse pas de poser problème : il s’agit d’une puissance qui n’implique en elle-même ni limites ni bornes sinon celles qu’elle se donne. Elle est absolue et, de ce point de vue, est impossible en démocratie puisqu’il y est impossible de se faire obéir. Hobbes voyait déjà dans l’abandon du droit naturel la condition de la souveraineté : il n’y a aucun ordre supérieur à elle.

Pour Rousseau, cependant, si la puissance procède des hommes, alors la légitimité aussi. C’est le premier à poser la souveraineté comme pouvoir absolu et fondement de la démocratie. Mais le pouvoir va de moins en moins devenir une relation d’homme, mais plutôt un rapport institué qui s’effectue par plusieurs médiations. L’Etat institue une distance entre celui qui exerce le pouvoir et celui sur lequel il s’exerce. Le pouvoir démocratique a pour idéal de faire coïncider celui qui détient le pouvoir avec celui sur lequel il s’exerce, mais cette identité ne peut qu’être médiate, différée, décomposant le peuple en souverain et sujet. L’hypothèse démocratique se trouve affectée d’une profonde contradiction : l’idée d’un pouvoir du peuple souverain ne peut qu’être marquée de l’absolutisme inhérent à la souveraineté moderne ; en outre, la méditation de l’Etat entre le peuple sujet et le peuple objet du pouvoir ne peut qu’entraîner un assujettissement des individus proportionnel à la puissance commune.

Montesquieu, dans les livres XI et XII de L’esprit des lois fait état de cette difficulté et s’essaie à la résoudre. Il envisage deux sortes de lois sur la liberté politique :

  • « Les lois qui forment la liberté politique dans son rapport avec la constitution », il s’agit ici de faire face à l’absolutisme du pouvoir souverain.
  • « Les lois qui forment la liberté politique dans son rapport avec les citoyens », il s’agit ici de protéger les libertés individuelles contre la puissance publique en donnant des limites au pouvoir d’assujettir.

Montesquieu distingue, en premier lieu, la liberté du peuple et le pouvoir du peuple. Non seulement, le pouvoir du peuple peut être associé avec la restriction des libertés dont chacun dispose ; mais, en outre, plus le pouvoir est fort, plus la liberté est restreinte. Comme rien n’arrête la puissance du peuple en démocratie, rien ne subsiste de la liberté de chacun : « C’est une expérience éternelle que tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser ». Comme il réalise au mieux la souveraineté, le gouvernement démocratique met en danger la liberté, ce qui pourrait nous faire craindre un « despotisme démocratique », dans les termes de Kant : le plus grand des despotismes serait le « gouvernement paternel » où les sujets n’auraient aucun droit (que Kant oppose au gouvernement patriotique) ; or, la démocratie établit un pouvoir exécutif où tous décident contre un seul, ce qui fait que tous décident sans être tous, une contradiction dans la volonté générale. Pour Kant, toute forme de gouvernement qui n’est pas représentative est un vice de forme car on ne saurait trouver dans la même personne un législateur et un exécuteur de sa volonté.

Pour Montesquieu, donc, il faut protéger la liberté individuelle contre la multitude et protéger cette dernière contre sa propre puissance. Cette méfiance profonde à l’égard du peuple est un thème récurrent de la philosophie politique, notamment pour la pensée libérale.

 

Rousseau, à l’inverse, déclare qu’il n’y a de pouvoir légitime qu’émanant de la souveraineté et que cette dernière ne saurait revenir qu’au peuple, qui se forme par l’acte même où il se pose comme souverain : « L’acte d’association renferme un engagement réciproque (…) et que chaque individu contractant, pour ainsi dire, avec lui-même, se trouve engagé sous un double rapport, savoir : comme membre du souverain envers les particuliers et comme membre de l’Etat envers le souverain » (Du contrat social, I, 7). Il s’oppose ouvertement à Montesquieu lorsqu’il affirme l’indivisibilité et l’inaliénabilité du pouvoir souverain au début du livre II : « Par la même raison que la souveraineté est inaliénable, elle est indivisible. Car la volonté est générale ou elle ne l’est pas » (II,1). Pour répondre à Bodin, qui estimait que nul n’était d’obéir en démocratie, Rousseau écrit que la souveraineté du peuple fait justement coïncider liberté et obéissance car « l’obéissance à la loi qu’on s’est prescrite est liberté ». Cependant, bien que nous pensions la démocratie à partir de la souveraineté populaire, telle qu’elle a été théorisée par Rousseau, son propos est bien différent puisque, si la souveraineté du peuple est la condition de légitimité d’un peuple, ce n’est pas par elle que Rousseau définit la démocratie, mais la république et, comme il l’écrit, « tout gouvernement légitime est républicain » (II, 6) car c’est un état régi par des lois où seul l’intérêt général gouverne. La démocratie est autre chose, elle est une forme de gouvernement et non un régime politique (III, 4). Ce que nous entendons aujourd’hui par démocratie, c’est ce qu’il entendait par république. Il faut prendre acte de la différence qu’institue l’Etat entre le citoyen et le sujet : le citoyen est membre du souverain, le sujet est membre de l’Etat, la liberté de l’un est égale à l’assujettissement de l’autre. Autant l’idée démocratique préside à la conception du souverain, autant la démocratie n’est envisagée que comme idéal, pour une part dangereux et, pour l’autre, difficilement applicable : « Il n’a jamais existé de véritable démocratie et n’en existera jamais (…) On ne peut imaginer que le peuple reste incessamment assemblé pour vaquer aux affaires publiques ».

Rousseau procède donc à une analyse de la notion de pouvoir : il faut y distinguer la volonté, un pouvoir de vouloir, qui est générale et s’exprime par la loi, et le pouvoir proprement dit, qui est pouvoir de faire faire, de se faire obéir.

  • La volonté souveraine ne peut être représentée, aliénée
  • Le pouvoir, lui, ne saurait être délégué.

Cette distinction est intéressante en ce qu’elle permet de remettre en question l’idéal démocratique de la citoyenneté comme citoyen-magistrat : on retrouve ici des points communs entre Rousseau et Montesquieu. Quand il distingue loi et décret (II,3 ; III, 4 ; IV, 1), la première étant générale et portant sur un objet général, la seconde étant particulière, seule la première relève du peuple, le second relève du gouvernement. Le danger de la tyrannie est donc au plus haut en démocratie : le peuple y est à la fois souverain et prince et l’on risque que le point de vue du second corrompe le premier : « Il n’est pas bon que celui qui fait des lois les exécute » (III, 4).

Certes, Rousseau unifie la souveraineté et la démocratie, mais sa prise en compte de l’Etat, qui différencie le souverain et le gouvernement, a un effet ruineux pour le modèle de la citoyenneté comme participation qui est le propre de la démocratie. Le pouvoir citoyen est restreint au pouvoir de vouloir, le pouvoir de faire étant aux mains de l’Etat. Nos modèles contemporains de démocratie sont marqués par ce double héritage rousseauiste : le peuple est un sujet de droit instituant ; le citoyen, une source de légitimité ; mais il se révèle impuissant à mettre en œuvre la citoyenneté comme pouvoir, participation et magistrature.

 

La citoyenneté démocratique peut-elle être pensée sans remettre en question les concepts de souveraineté et d’Etat ?

 

4/ Le bien commun

Comment penser cette notion de fin commune ? Quel objet donner à la communauté politique si on la pense en termes démocratiques ? Quel statut accorder à l’idée de fin commune ?

Aristote, dans les premières lignes des Politiques définit la cité selon trois critères :

  • Toute cité est une communauté
  • Toute communauté vise un certain bien
  • Effort commun pour bien vivre ; Partage de valeurs communes (sur le juste et l’injuste par exemple)

Kant est très critique à l’égard de telles thèses : il distingue la fin morale de l’homme de son inclination au bonheur comme il distingue l’homme en tant qu’être raisonnable de l’homme comme membre d’une cité. En termes de droit, la poursuite du bonheur est strictement privée, subjective, alors que l’obéissance à la loi morale est celle du sujet rationnel. Or, la communauté politique doit être pensée en termes de droit, la recherche du bonheur en termes de subjectivité.

Kant s’oppose donc à l’idée d’une communauté politique des fins, conséquence de la radicale autonomie du sujet. La démocratie est, pour lui, attaché au modèle aristotélicien de la cité. Il serait néanmoins raisonnable de se demander dans quelle mesure la démocratie est équivalente à la communauté des fins : pourquoi cela engendrerait-il, en outre, un despotisme ? La volonté générale pose nécessairement une fin elle-même générale, qui ne saurait être autre que le bien-vivre (Aristote, comme Rousseau, s’accordent sur ce point : « la volonté générale peut seule diriger les forces de l’Etat selon la fin de son institution qui est le bien commun », II, 1). Penser cette volonté comme souveraine revient à la penser comme source d’obéissance, émanant nécessairement des volontés particulières.

Quels rapports entretiennent les droits de l’homme avec la démocratie ? Il s’agit de droits inhérents à la personne humaine, inaliénables et universels ; ils affirment l’autonomie de la volonté de chacun ; la singularité de chacun est à rapporter à l’universalité de l’humanité. Cela signifie que les droits de l’individu sont antérieurs à l’état civil et, même, qu’ils en sont la condition de possibilité. Ils constituent un contrepoids à la notion de souveraineté. La conséquence est la suivante : un concept fort des droits de l’homme implique nécessairement un concept faible des fins communes de la communauté politique. Mais comment être citoyen sans rien exercer du pouvoir commun ? Comment une société peut-elle se constituer en communauté si elle ne se reconnaît pas dans les valeurs communes ? La volonté générale, chez Rousseau, est une réponse qu’il apporte à une question : qu’est-ce qui, dans l’ordre social, pourrait jouer le rôle de norme au même titre que le principe de conservation dans l’Etat de nature ? Les disjonctions du pouvoir et de la volonté, de la puissance commune et de la liberté de l’individu semblent poser problème à la démocratie et ce sont celles-là que Spinoza s’attache à récuser.

Pour Spinoza, la liberté est libre nécessité : la liberté de l’Etat, sa souveraineté, c’est la puissance de déterminer les actions de tous ses membres. La liberté des individus, à l’inverse, c’est la puissance d’être à soi-même la cause de ces actes. La communauté politique doit accorder ces deux libertés et la raison nous apprend leur identité.

La démocratie est l’organisation de la communauté qui a pour effet que les individus conduisent leurs actions conformément à la droite raison. La puissance la plus grande que le pouvoir souverain puisse acquérir est celle qui s’appuie sur la reconnaissance de son autorité. Pour Spinoza, on ne sort jamais du droit naturel, l’individu reste dedans même dans l’état civil. Ainsi, la puissance d’agir de la communauté est d’autant plus grande que chacune des puissances d’agir de l’individu qui la forment reconnaît l’affirmation de la sienne propre. Donc :

  • La liberté des individus est puissance d’agir conformément à la raison et qui est compatible avec la puissance de l’Etat (TTP, 16)
  • La liberté est la fin de l’Etat (TTP, 17)
  • Elle en est la condition de possibilité (TP, IV, 4)

L’adhésion des individus à une communauté est liée à la puissance dont ils disposent au sein de celle-ci ; Spinoza peut donc se passer de l’idée de fin commune puisque c’est l’exercice du pouvoir commun qui forme et maintient la cohésion de la communauté. Ce n’est donc pas en inculquant des valeurs citoyennes aux membres de la cité que l’on confortera l’autorité souveraine, mais en accroissant la puissance d’agir, ce pouvoir d’être cause de sa propre existence et de celle de la communauté, afin que les hommes vivent sous l’autorité de la droite raison.

 

« Priver un homme de tout espoir, c’est en faire un ennemi farouche de toute la communauté »

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