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Omnia vanitas

Rousseau, Discours sur l'origine de l'inégalité, Portrait métaphysique de l'homme, III

20 Juin 2018 , Rédigé par Tristan de Lupalbus

Rousseau a brossé le portrait de l'homme qui n'existerait pas dans une société. Nous avons envisagé l'aspect physique qui est définie par le fait que l'homme vit dans une harmonie immédiate entre ses besoins et le milieu qui permettait de les satisfaire. L'état de nature, on ne voit pas la raison pour laquelle il serait nécessaire d'en sortir. 

Point de vue métaphysique : l'homme dans tout ce qui ne concerne pas immédiatement son corps, tout ce qui fait qu'il n'est pas un vivant comme les autres, ce qui concerne ses facultés spirituelles ou mentales, sa volonté, sa liberté. Le Discours opère une subversion dans le portrait de l'homme à l'état de nature : l'originalité de Rousseau est d'éliminer de la nature humaine les attributs ou propriétés qui servent traditionnellement à définir la différence anthropologique. Ce concept renvoie aux critères de démarcation entre l'homme et l'animal : les propriétés possédées par l'homme seul qui font qu'il n'est pas réductible à l'animal. La thèse classique dans la tradition philosophique, qui nous vient d'Aristote : définir l'homme comme un animal rationnel. La possession de la raison le distinguerait des autres animaux, ainsi que le langage (le logos rend le langage et la raison indissociables, c'est la raison en tant qu'elle passe par le discours). L'homme est aussi défini comme un animal politique, l'homme serait caractérisée par une sociabilité naturelle, par nature il y serait destiné. Comme l'homme est un animal rationnel parce qu'il parle, que l'homme est un animal politique, c'est-à-dire qu'il peut construire des cités. Ce qui est novateur chez Rousseau, c'est qu'il déplace le principe de la différence anthropologique de la raison vers la liberté, de la connaissance vers l'action ou la volonté. La différence, ce n'est plus que nous disposions la raison par nature, mais le fait que nous sommes des êtres libres. On peut distinguer deux versants de cette thèse :

  • Négativement, Rousseau refuse de faire de la raison le critère de la différence anthropologique car si l'on définit la raison comme une faculté de représentation, une puissance de formation des idées, nous pouvons rendre compte de toutes nos idées à partir de l'expérience sensible. Contrairement à une vision cartésienne, l'esprit ne possède aucun contenu qu'il soit capable de forger par ses propres ressources, toutes ses idées dérivent à leur principe d'une sensation appréhendée par notre corps. Rousseau ne s'attarde pas sur cette question, mais par un travail d'abstraction, nous formons des idées qui sont de plus en plus éloignée de l'expérience sensible, mais leur principe premier est dans la sensation qui se complexifie. Les animaux, ayant eux-mêmes de sensation, l'on peut penser qu'ils ont des représentations, peut-être pas des idées abstraites et élaborées, mais leur différence d'avec nous sur ce point est davantage du degré que de la nature. la capacité à former des idées n'est pas à elle seule ce qui nous distingue de l'animal. 
  • Positivement, cela est dû à la définition de la liberté. Elle se définit comme la capacité d'être la cause de ses actes, ce qui s'oppose au fait d'être déterminé par quelque chose dont on ne décide pas, par quelque chose d'extérieur, ce qui chez les animaux s'appelle instinct. Tout ce que l'animal fait est causé non par une initiative qu'il prend, mais parce que l'animal est programmé par l'instinct pour agir dans une direction et dont il ne peut s'affranchir. l'animal ne peut pas prendre de distance ni de recul par rapport à ses besoins. L'homme, à l'inverse, est gratifié d'un pouvoir de choix qui est certes rudimentaire, mais il prend la forme d'une capacité à dire oui ou non. l'animal, lui, ne peut que dire oui au désir ou au besoin qui sollicite la volonté. Autrement dit, l'animal subit des règles qu'il ignore, si quelque chose survient dans son environnement, il ne sait pas quoi faire. L'homme n'est pas infailliblement entraîné à suivre les penchants, il peut les accepter ou les refuser. L'homme complexifie cette description en montrant qu'il a une autre qualité qui le distingue des autres animaux : la perfectibilité. Quelque chose comme une histoire est rendu possible par cette possibilité. 

La perfectibilité : "la faculté de se perfectionner, faculté qui à l'aide des circonstance développe successivement toutes les autres". La perfectibilité qualifie la capacité que possède l'homme de développer, sous l'effet de circonstances extérieures, des facultés, des aptitudes, des compétences qui n'existent d'abord en lui que virtuellement. Le vrai principe de coupure entre l'humanité et l'animalité, c'est que l'homme a le pouvoir de se transformer lui-même, il a le pouvoir d'inventer sa propre nature en se donnant, selon les urgences, des aptitudes inédites. A l'origine, l'homme est un ensemble de possibilités dont ni la forme ni le contenu ne sont dessinés par avance, c'est l'inverse même de l'instinct que seule la croissance actualise. Chez l'homme, on peut créer de nouveaux pouvoirs, mais cette création n'est pas du tout nécessaire, elle est purement contingente, ce qui signifie que la caractéristique singulière de la nature humaine, c'est qu'elle n'est jamais donnée. La nature humaine ne décrit pas une série de propriétés reçues de manière fixe, c'est une destination et une vocation, c'est quelque chose qui est à faire. ce que nous sommes, c'est ce que nous faisons de nous-mêmes, mais que rien ne nous forçait à faire. 

La perfectibilité ne suppose pas que ces facultés reposent au fond de nous et que nous ne ferions qu'actualiser. Rousseau écrit dans l'Emile : "Nous ignorons ce que notre nature nous permet d'être", c'est une invention au sens fort du terme. nous sommes notre propre oeuvre, l'humanité est la seule espèce de se créer dans le temps. D'une part, perfectibilité signifie que notre progrès n'a pas de limite, personne ne sait ce que serait la nature humaine parfaitement achevée, aucun homme ne réalise tout ce dont l'homme est capable. Notre progrès n'a pas de direction unique : c'est parce que nous sommes perfectibles que l'histoire humaine peut être le lieu de notre déchéance que le lieu de notre accomplissement. Cela signifie que notre destin est laissé entre nos propres mains. La perfectibilité veut dire que notre nature n'en finit pas de s'approfondir et de s'enrichir. En ce sens, l'homme à l'état de nature n'épuise pas la nature humaine, il n'épuise pas tout ce que l'homme peut être et tout ce que l'homme peut faire de lui-même. La perfectibilité suppose que la nature de l'homme est d'être irréductible à toute nature. Dans l'état de nature, cette perfectibilité, l'homme n'en fait rien. Toutes les facultés et aptitudes qu'elle rend possible sont encore inexistantes. Elles ne s'actualiseront que sous l'effet des circonstances extérieures, lorsque la nature cessa de nous donner tout ce dont nous avions besoin. 

On retrouve cette idée quasi-théologique que c'est l'occasion pour l'homme de se gagner lui-même. C'est le thème de la felix culpa, c'est l'occasion de développer notre nature. tant mieux si nous sommes arrachés à notre nature d'animaux satisfaits. Certes, il y a un long cortège de malheurs, mais au moins nous avons développés un certain nombre de facultés qu'il faut employer à bon dessein. Il n'y a rien à regretter de cet état de nature disparu. 

L'homme s'en tient à un rapport essentiellement sensible au monde, aucune activité intellectuelle, sans rationalité et sans langage. Si l'on ne parle pas, si l'on n'a pas de concepts, on ne pense pas, on peut sentir, mais non penser. Pour avoir des concepts, de la discursivité, il faut que s'installe une distance entre soi et le monde, laquelle ne s'instaure jamais dans l'état de nature parce que l'on n'en a pas besoin. 

A propos de l'origine des langues : la raison est acquise au terme d'un très long processus par lequel nous passons de la diversité des impressions sensibles qui est l'activité intellectuelle de formation des concepts, des idées générales qui nous servent à mettre en ordre notre conception du monde. Raison = pensée = idée générale = langage. Ce qu'on appelle une idée générale, c'est une représentation qui regroupe sous un même nom, sous un même terme une multiplicité d'individus qui présentent des différences, mais qui ont des caractéristiques communes, classés dans des genres et des espèces. on fait abstraction de ce qui différencie les individus et on ne s'intéresse qu'à ce qu'ils ont de commun : si je veux fabriquer l'idée générale d'arbre, il y aura le chêne, la marronnier, je ne vais retenir que ce qu'ils ont de commun et je vais dire que tous les individus partageant ces propriétés font partie de l'idée générale d'arbres. Il n'y aurait pas de pensées sans idées générales. La raison est d'abord une faculté de constructions d'idées générales. Il est important de différencier l'image de l'idée générale. Penser, ce n'est pas imaginer : l'idée générale, ou le concept, et l'image n'ont rien à voir. Penser suppose toujours autre chose que la simple imagination. Toute image est singulière, particulière. Quand on imagine un arbre, on lui donne des qualités, une densité de feuillage, une certaine couleur, mais toutes ses propriétés sont contingentes pour l'arbre. Quand on imagine, on n'accède jamais à l'arbre en général, on se dessine mentalement tel exemplaire d'arbre, cet arbre-ci, une incarnation concrète. L'idée générale de l'arbre est une idée universelle qui s'applique à tous les arbres. Quand on conçoit une idée générale, on se rapporte à ce qui se trouve en tout arbre, ce qui implique d'écarter toutes les différences de fait entre les arbres. le sens d'un mot se comprend et la moindre idée générale que l'on comprend suppose que l'on se donne autre chose que l'image intérieure de l'objet. Bien des idées ne peuvent pas être vues et les aveugles sont capables de penser sans pour autant voir. La pensée dépasse le sensible par l'idée générale et la seule manière de dépasser le sensible, c'est le langage. dans les mots se joue le dépassement du sensible au profit du sensé. La raison suppose le langage

L'invention du langage pose un problème considérable, elle crée une aporie, quelque chose contre lequel on s'achoppe nécessairement : qu'est-ce qu'inventer le langage ? Le langage consiste à constituer un système de signes, un système de sons auxquels on fait correspondre des idées. Le son jaune décrit la couleur de la nappe. Il faut attribuer aux mêmes idées les mêmes sons. Mais pour pouvoir se mettre d'accord sur la correspondance signifiant/signifié, il faut déjà le langage. il faut pouvoir signaler notre intention de choisir tel mot plutôt que tel autre, ce qui suppose le langage avant le langage. On ne peut pas concevoir l'origine du langage parce qu'il est présupposé pour sa propre invention, il y a une causalité circulaire. On ne peut pas expliquer l'origine du langage. Rousseau veut montrer la contingence de la société : en renversant Aristote, qui développait une théorie finaliste sur le langage, car pour lui l'homme était fait pour parler, que la parole était toujours déjà là car il était fait par nature pour vivre en société. Vivre en société pour un homme, c'est décider de l'organisation de cette société, de ses règles comme de ses principes d'existence, il faut pouvoir déterminer le juste et l'injuste, ce qui exige des concepts et de la rationalité. 

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