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Omnia vanitas

Respecter l'autorité (2)

21 Mai 2018 , Rédigé par Tristan de Lupalbus Publié dans #Politique

 

  • Autorité et tradition

 

Cette acception du respect est bien différente de la détermination kantienne du respect comme sentiment relatif à la seule injonction rationnelle. Ce sentiment est ce qui pousse le sujet à déférer au commandement de la raison, principe éternel de l’être raisonnable, de la volonté autonome en tant qu’elle se détermine par la considération de la loi morale seulement ; il ne relève donc pas d’une action passée ni d’une origine fondatrice.

Exigence morale rationnelle en tant qu’autorité : il faudra parler d’autorité transcendantale, non d’autorité empirique, d’autant plus que Kant insiste longuement sur l’impossibilité de faire dériver la moralité d’une action de quelque action empirique que ce soit : « En fait, il est absolument impossible d’établir par expérience avec une entière certitude un seul cas où la maxime d’une action d’ailleurs conforme au devoir ait uniquement reposé sur des principes moraux et sur la représentation du devoir » (Fondements de la métaphysique des mœurs, II).

Le respect d’une autorité transcendantale ne procède pas d’un regard en arrière. Il en va de même pour le principe de l’autorité par soi-même. Si le citoyen n’est réputé avoir d’autre autorité que lui-même en tant que membre du souverain, c’est là aussi en vertu d’une essence de l’homme qui le considère dans sa liberté. En droit, l’homme est libre et, considérant l’autorité de sa propre raison, n’aurait pas à regarder en arrière.

 

Pourtant, Rousseau fait remarquer que, pour bien juger, les citoyens ont besoin d’un guide, extérieur au corps politique, qui inspire leurs délibérations et leurs décisions : le législateur.

Rousseau, Du contrat social, II, 7 : « Celui qui rédige les lois n’a donc ou ne doit avoir aucun droit législatif et le peuple même ne peut (…) se dépouiller de ce droit incommunicable »

L’autorité politique est un pouvoir qui appartient à l’assemblée des citoyens, mais l’autorité comme source de décisions appartient au législateur. Rousseau emploie alternativement les figures de Lycurgue, Moïse et de Calvin pour l’illustrer, qui sont autant de figures fondatrices, sources d’une autorité politique et sont demeurées la ressource de la décision et de l’action politiques. Le respect envers les fondateurs n’empêche pas, pour autant l’exercice de la liberté.

On comprend, du même coup, que le respect envers les parents ou les maîtres n’est pas incompatible avec l’émancipation de celui qui reçoit d’eux l’éducation et l’instruction. Il y aurait incompatibilité si le respect n’était que soumission au pouvoir des éducateurs. L’existence adulte, en ce sens, n’exclut pas le respect de l’autorité des parents et des maîtres.

 

  • Respect et autorité de la tradition

 

Respect de la tradition en tant qu’elle est passage de l’ancien vers le nouveau, non répétition aveugle du passé. Pour reprendre la position de Pascal dans la Préface pour un traité du vide, longuement explicitée plus haut, il importe de fonder en raison le respect dû aux anciens, le mérite qu’ils ont eu est justement d’avoir su se délier de l’enseignement qu’ils avaient reçus de leurs anciens à eux, afin de prendre l’initiative de nouvelles recherches. Il y a là une dialectique du respect : il ne s’agit pas d’être conformiste ou irrévérencieux, mais avoir un respect judicieux et raisonnable qui consiste à imiter leur esprit d’innovation plutôt que leurs thèses. Il y a une autorité des anciens digne d’être respectée aux yeux de Pascal, non un pouvoir dogmatique qui nous contraindrait à imiter leurs thèses, mais une origine qui demeure une ressource pour la pensée et lui inspire le courage de la recherche. Là, nous avons le regard en arrière qui inspire le respect, la raison elle-même peut s’y ressourcer et augmenter en confiance dans sa capacité à découvrir des vérités.

 

On retrouve cette dialectique du respect dans le statut du génie des beaux-arts chez Kant :

Kant, Critique de la faculté de juger, §47-49 : la confusion entre autorité et pouvoir conduit à opposer deux attitudes, l’une conformiste, l’autre irrévérencieuse ; l’imitation servile qui pense s’élever à la perfection en recopiant les œuvres réputées exemplaires et le maniérisme, qui veut faire preuve d’originalité en se démarquant systématiquement des formes esthétiques. Le produit du génie n’est pas un chef-d’œuvre à imiter, mais un héritage exemplaire pour un autre génie qui l’éveille au sentiment de sa propre originalité. L’autorité des grands artistes ne saurait donc être conçue comme un pouvoir imposant la soumission mimétique, mais elle constitue la source du génie à laquelle les autres artistes peuvent et doivent se ressourcer pour trouver en eux-mêmes leur originalité. Par le respect de l’autorité, le regard rétrospectif sur les créations passées que l’autorité par soi-même peut s’affirmer.

La tradition ne saurait être confondue avec le passéisme, elle est ce qui rend possible le passage de l’ancien au nouveau.

 

Conclusion

 

Il est clair qu’il ne faut pas confondre autorité et pouvoir : quelle que soit sa légitimité, quelle que soit sa cause, le pouvoir a pour fonction de produire la sujétion (soumission contrainte ou obéissance consentie) et si ce pouvoir est une autorité, c’est une puissance à laquelle on s’aliène nécessairement. Nous avons pensé, à l’inverse, le principe de l’autorité par soi-même, ce qui impose de reconnaître dans l’autorité la source qui augmente la confiance parce qu’elle demeure une ressource pour ce qui est à venir.

A négliger ce sens de l’autorité, on se condamne à mal la penser et l’on croit qu’elle nuit à la liberté de l’esprit.

Respecter l’autorité, ce n’est pas aliéner sa liberté à un pouvoir, l’autorité est une ressource pour le jugement, elle ne devient une menace que lorsqu’elle est pervertie en une instance dogmatique qui impose sa puissance. En ce sens, il n’y a jamais d’abus d’autorité, seulement es abus de pouvoir : le respect de l’autorité n’est pas la même chose que la soumission à un pouvoir, ni une manière de conserver indéfiniment un passé révolu : il s’agit, au contraire, de préserver une tradition qui augmente la confiance en la provenance parce qu’elle seule permet d’initier quelque chose de nouveau. Respecter l’autorité, c’est préserver la provenance.

 

 

 

Autorité :

Vient du latin auctor, qui signifie auteur, mais cette étymologie ne semble pas nous indiquer le moindre rapport avec l’acception usuelle du terme : l’autorité politique comme droit d’accomplir et de faire accomplir certaines actions.

L’autorité est proche d’un sens du pouvoir. Le rapport d’autorité : auteur d’un discours, celui qui le reçoit, non parce qu’il y est contraint, mais parce qu’il en respecte l’auteur. L’autorité, dans ce cadre, désigne un rapport de confiance.

Arendt, La crise de la culture, Qu’est-ce que l’autorité : « il faut l’opposer à la fois à la coercition par la force et à la persuasion par les arguments ». L’autorité est opposée à la domination et s’inspire de la notion romaine d’auctoritas, énergie perdurante de l’acte de fondation de la ville : augmente et autorise le pouvoir en lui conférant une pérennité qui lui vient du passé. L’autorité ne s’impose pas par la persuasion ni la contrainte, elle s’exerce sur des êtres libres tout en se faisant respecter inconditionnellement.

Comment ce respect inconditionnel est-il possible si l’on ne contraint pas la volonté de ceux qui la reconnaissent ?

L’autorité est un pouvoir physique et intellectuel accordé par confiance : on parle, par exemple, de l’autorité des Ecritures dans la religion chrétienne, nulle coercition là-dedans.

L’autorité n’apparaît jamais seule, bien qu’elle surgisse dans différents domaines : famille, école, justice, Eglise, intellectuels… Le pouvoir des parents se double d’une nécessité matérielle, l’autorité de l’Etat s’impose avec une force coercitive… L’exclusion de la force du rapport d’autorité pose de lourds problèmes à la pensée politique : Comment penser un rapport d’autorité, plus libre que la coercition, qui laisserait la liberté de jugement et d’expression ? Spinoza : l’autorité politique suppose que la confiance de l’Etat s’accompagne du seul abandon de la liberté d’agir, non de celle de juger qui caractérise la liberté intellectuelle.

Les dirigeants doivent mériter la confiance des citoyens pour leurs compétences : l’autorité est, en somme, un artifice auquel on consent pour garantir la paix.

L’autorité se justifie-t-elle absolument, par elle-même, ou repose-t-elle sur une position d’expert ? Penser les limites de l’autorité, c’est penser les limites du jugement individuel.

 

Respect :

Le respect, c’est contenir son action dans les limites prescrites par une convention. On contient sa liberté afin qu’elle n’empiète pas sur celle d’un autre. Le respect de soi implique l’indépendance à l’égard d’autrui et le respect d’autrui porte sur l’indépendance de l’autre face à mon jugement. La générosité chez Descartes : « il connaît qu’il n’y a rien véritablement qui lui appartienne que cette libre disposition de ses volontés ».

Chez Kant, le respect porte sur le genre humain présent en chaque homme particulier : humanité pensée en référence à la loi morale : un sujet atteint pleinement son humanité lorsqu’il s’émancipe des besoins sensibles en identifiant le principe déterminant de sa volonté à l’impératif formel d’universalisation de la maxime de son action. La morale kantienne situe tout homme sur un pied d’égalité. Le contraire du respect, c’est l’arrogance (forcer autrui à subordonner son idée de soi à la conscience de ma puissance) et l’avilissement (subordonner mon idée de moi-même à la conscience de la puissance d’un autre, m’estimer inférieur à lui).

Pascal : « Le respect est : incommodez-vous », je m’incommoderai bien si vous en avez besoin

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